Les filets maillants mono filament, encerclant, moustiquaires …. Engins illégaux de pêche restent une réalité malgré leurs interdictions et contribuent à la diminution de la production halieutique et à la flambée des prix des poissons au Burundi.
Le soleil illumine le port de pêche de Rumonge en ce jour de Février 2024. La Fédération des Pêcheurs saisit les filets maillants mono filament, les filets maillants encerclant, engins illégaux de pêche ainsi que les petits bateaux de pêche pendant l’opération d’inspection aux pêcheurs dans le lac Tanganyika.
Ces filets doivent être incendiés, indique Manirambona Jonathan Majidi, chargé de produire des statistiques de la production des poissons sur les ports de pêches de Rumonge, Gatete et Karonda.
Le tribunal de résidence de Rumonge a provisoirement interdit la destruction de petits bateaux de pêche saisis. En attendant la décision du tribunal, nous les avons rassemblés au port de pêche de Rumonge, poursuit Manirambona Jonathan.
Toujours selon Manirambona, les utilisateurs des engins illégaux saisis ont pris la fuite tout en laissant leurs bateaux derrière eux lorsqu’ils ont constaté qu’ils sont poursuivis.
S’ils étaient attrapés, ils auraient écopé d’une année et demie à trois ans de prison ou du paiement d’amende allant de 600 000 à 3 000 000 de Fbu, indique-t-il.
La pêche illicite est d’autant plus courante dans le lac Tanganyika et dans les lacs septentrionaux qu’en 2017, les comités des pêcheurs sur les différents ports de pêche ont saisi et détruit plus de 5955 engins illégaux, lit-on dans le rapport de la Fédération des Pêcheurs et Fournisseurs du Poisson au Burundi (FPFPB).
Le rapport indique que 153 sennes de plages, 79 filets maillants encerclant, 461 filets maillants mono filament (Kamusipi) et 5262 moustiquaires ont été saisis.
Dans les lacs du Nord dont Rweru et Cohoha, l’usage des engins illégaux est très inquiétant. Le rapport indique que 5357 constitués des seines de plage moustiquaires et 480 kg de filets maillants encerclant et filets maillants mono filament (FMM) ont été saisies. La plus grande partie des engins illégaux détruits ont été saisis dans la commune de Busoni.
Depuis décembre 2011 jusqu’en 2017, 12 983 engins de pêche illégaux ont été saisis et détruits, lit-on dans le rapport.
Les filets maillants mono filament et encerclant ainsi que les moustiquaires sont interdits dans les ports de pêche du Burundi. Selon Manirambona Jonathan, les zones de reproduction constituent la cible des utilisateurs des matériels illégaux de pêche.
Ils ciblent les zones de reproduction parce qu’ils y capturent beaucoup d’alevins, Ce qui n’est pas sans conséquences sur le stock des poissons du lac, explique Thierry Ndikumana, l’un des pêcheurs rencontré au port de pêche de Kajaga. Les recherches ont démontré qu’un kilogramme d’alevins aurait donné 1000 kilogrammes de poissons à l’âge mature.
Pour protéger les zones de reproduction, la Fédération des Pêcheurs et Fournisseurs du Poisson au Burundi organise des patrouilles de surveillance.
La surveillance se fait en deux temps. Celle de routine exercée quotidiennement par les comités des plages chaque fois que de besoin et l’autre d’une grande envergure exécutée par les comités des pêcheurs, l’Administration, la marine et la police dans la cogestion, indique Manirambona.
Ces patrouilles de grande envergure ne sont pas fréquentes, se lamente Manirambona. Ajoutant : « ils pêchent illégalement dans les zones protégées lors de notre absence ».
Si les patrouilles étaient si fréquentes à tous les ports de pêche du lac Tanganyika et des lacs septentrionaux, on saisirait beaucoup d’engins illégaux, indique Albert Mbonerane, environnementaliste et représentant de l’Organisation Ceinture Verte.
Le commerce des filets maillants encerclant et mono filament est interdit. Toutefois, il se fait en cachette. L’un des pratiquants de ce commerce, sous couvert d’anonymat reconnaît que le trafic des engins de pêche illégaux présente de grands risques, mais qu’il est très lucratif, ce qui est difficile pour eux de l’abandonner.
La pêche est source d’emploi et créatrice de revenu. Selon l’enquête menée en 2015 par la Direction des Eaux, de la Pêche et de l’Aquaculture du Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, la pêche représente un chiffre d’affaire de quatre-vingt (80) milliards de francs burundais avec une production de vingt mille tonnes (20 000T) par an. Elle occupait plus de cent mille (100.000) personnes et offrait de l’emploi à quinze mille trois cent onze (15.311) pêcheurs.
En revanche, la production halieutique décroît et croît au fil des années. A en croire l’annuaire statistiques du Burundi année 2021 publié en Mars 2023 sur le site de l’Institut National des Statistiques du Burundi, la production des poissons de la pêche artisanale et coutumière réunies est passé de 21 326 tonne en 2015 à 28 436 tonnes de poisson en 2018 avant de revenir à 22 133 tonnes de poissons en 2021.
La Troisième Communication Nationale de la République du Burundi sur les Changements Climatiques démontre que la surpêche, le changement climatique ainsi que la pollution font partie des facteurs de la diminution de la production halieutique dans le lac Tanganyika et dans les lacs du Nord.
Au port de pêche de kajaga, les pêcheurs se lamentent : «nous faisons la pêche ici toute la nuit, mais la production semble insuffisante. Elle n’est pas proportionnelle à l’effort fourni. » Lance Nzisabira Gilbert, l’un des conseiller de la Fédération des pêcheurs et Fournisseurs de poissons au Burundi.
« Nous pratiquons la pêche 21 jours par mois, soit deux tiers du mois et laissons les autres jours aux poissons pour qu’ils se reproduisent. S’il y a un pêcheur qui outrepasse la mesure, il est puni » a martelé Nzisabira Gilbert.
Néanmoins, la production halieutique demeure insuffisante. Cette période peut s’écouler sans que l’on ait même récolté les poissons qui puissent payer les émoluments de nos employés, a-t-il ajouté.
Nous nous retrouvons dans l’obligation de bricoler pour joindre les deux bouts du mois. » nous confie Gashindi Pascal, pêcheur.
Dans les années passées pourtant, nous récoltions beaucoup de poissons. En kirundi, on disait souvent: « indagara zapfuye » ce qui veut dire : « les prises sont nombreuses. ». C’était comme si les poissons se donnaient à cœur joie aux pêcheurs pour qu’ils les récoltent. Pendant la pêche, nous ne fournissions pas beaucoup d’efforts, nous explique Gashindi. En effet, les prix d’un kilogramme de poissons étaient abordables.
En 2023, les pays partageant le lac Tanganyika dont le Burundi, la RDC, la Tanzanie ainsi que la Zambie ont pris la mesure, par l’intermédiaire de l’Autorité du Lac Tanganyika, de fermer temporairement le lac Tanganyika pendant la période de trois mois allant du 15 Mai au 15 Août 2023 pour laisser à la biodiversité marine le temps de se reproduire et par ricochet d’augmenter la production halieutique. Aucun pays n’a pour autant respecté cette mesure. La pêche a continué dans ces quatre pays comme si rien n’était.
En raison de la diminution de la production halieutique, les prix des poissons se sont envolés. En l’espace de 3 ans, les prix d’un kilogramme de poissons dit ndagala ont augmenté de moitié. Selon les bulletins mensuels de l’Institut National des Statistiques du Burundi (INSBU en sigle), alors qu’au mois de Janvier en 2018, un kilogramme de Ndagala sec coütait 29 826,6 Fbu, en janvier 2022, il coûtait 42 275,5 Fbu.
A l’époque où les prises étaient nombreuses, les burundais consommaient en grand nombre les poissons qu’il soit Mukeke ou ndagala.
A l’heure actuelle, la consommation de poisson est l’apanage des riches. Il peut se passer tout un mois sans consommer le poisson, nous apprend Evelyne marchande de tomates que nous avons rencontrée au marché de Ngagara très connu sous le sobriquet de « COTEBU ».
L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO en sigle) indique qu’un burundais consomme en moyenne deux kilogrammes (2kg) de poisson par an. Ce qui est faible comparé à la moyenne de la sous-région qui varie entre 5,1 et 7 kg/hab./an et à celle de la F.A.O.
Notons que les scientifiques vont jusqu’à craindre la disparition de certaines espèces endémiques de poissons.