Par Eraste Manishaka
A environ 125 km au Nord-Est de Bujumbura, capitale économique du Burundi, se trouve la province de Ngozi, qui abrite des milliers de personnes, dont les batwa de la communauté Gika.
Les Batwa sont l’une des communautés les plus marginalisées d’Afrique et sont des réfugiées de conservations dans de nombreux pays, notamment au Burundi, au Rwanda, et en Ouganda. Pendant des décennies, les batwas de Gika étaient confrontés à de nombreux défis, notamment le manque d’eau potable.
Pendant la saison de pluie, les habitants collectaient de l’eau de pluie souvent stagnante et insalubre tandis que pendant la saison sèche, ils parcouraient plusieurs kilomètres pour puiser de l’eau dans les marais, ajoute-t-il.
Cette situation a non seulement affecté les communautés de Batwa de Gika, mais aussi les villages de Mivo, Kinyana et Gatonde.
Selon Sheikh Hussain Mohammed, l’un des principaux dirigeant de la région, cette situation provoquait non seulement les maladies hydriques, mais aussi plongeait les communautés locales dans des conditions de vie précaires
La province de Ngozi est située dans le bassin de la kagera, riche en eaux souterraines. Dans le bassin de la Kagera, la collecte de l’eau relève de la responsabilité des femmes et des enfants.
Le rapport technique de l’Initiative du Bassin du Nil (NBI) montre que le temps moyen consacré à la collecte de l’eau varie entre 20 et 30 minutes.
Les eaux souterraines de la province de Ngozi sont situées dans l’aquifère de Kagera, partagé par l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. Selon le rapport technique de l’Initiative du Bassin du Nil (NBI, le captage d’eau dans cet aquifère est estimé à 3,25 millions de m3/an.
Grâce au soutien des partenaires de développement, les communautés des villages de la province de Ngozi, dont les Batwa, ont désormais accès à l’eau potable pompée dans le sol. Ce projet révolutionnaire initié par la Communauté des Musulmans du Burundi de Ngozi a démarré en 2023.
« Nous avons initié le projet du forage profond d’eaux souterraines et d’installation des réservoirs et des points de distribution facilement accessibles après avoir constaté que la communauté Batwa de Gika et les villages de Mivo, Kinyana et Gatonde utilisaient une eau insalubre. » explique en détails Sheikh Hussain Mohammed.
Les projets relatifs aux eaux souterraines constituent une véritable révolution dans les pays où les sources d’eau de surface sont insuffisantes.
Dr Abel NSABIMANA, Enseignant à l’université du Burundi, Géographe de formation et Expert en Hydrogéologie indique que le Burundi possède 5000 sources d’eau potable qui ont un débit supérieur à deux litres par seconde. Néanmoins, ces sources d’eau ne peuvent pas suffire pour alimenter les populations résidant dans les villes et à l’intérieur du pays, y compris les écoles. C’est pourquoi il est si important d’avoir recours aux forages d’eau souterraine.
Seleus Ntunzwenimana, un cadre dans la Direction Générale de l’eau et assainissement, l’eau souterraine est très importante à l’adduction d’eau potable dans les centres et établissements scolaires et sanitaires où Régie de Production et de Distribution d’Eau et d’Electricité (REGIDESO) du Burundi ne couvre pas.
Cependant, les eaux souterraines sont encore peu exploitées non seulement au Burundi, mais aussi dans la zone aquifère de Kagera. Selon l’Initiative du Bassin du Nil, la capacité de stockage de l’aquifère de la kagera est estimée à environ 50 milliards de m3, mais le prélèvement actuel d’eau souterraine pour l’approvisionnement en eau domestique est estimé à 3,25 millions de m3/an.
L’Initiative du Bassin du Nil (IBN) est un accord de coopération initié et dirigé par les pays riverains du Nil pour promouvoir le développement, la protection et la gestion conjoints des ressources en eau communes du bassin du Nil.
Une transformation profonde
Jusqu’à présent, les eaux souterraines représentent environ 70 % de l’approvisionnement en eau dans le bassin de la Kagera, souligne le rapport technique du NBI.
Les projets d’exploitation des eaux souterraines comme celui de Ngozi jouent un rôle essentiel dans l’amélioration de la santé et des conditions de vie des populations, y compris des Batwa.
Carine MUGIHSHA, titulaire du centre de santé local explique qu’avant, ils recevaient des dizaines de patients chaque semaine souffrant de diarrhée ou d’infections d’origine hydrique, mais qu’aujourd’hui, ces cas sont rares.
Par ailleurs, les pratiques d’hygiène se sont nettement améliorées : les habitants font désormais la lessive de leurs vêtements et nettoient les ustensiles avec de l’eau propre. La construction de toilettes a été généralisée, réduisant ainsi les risques de contamination, constate Carine Mugisha.
Outre l’amélioration de la santé, l’accès à l’eau souterraine a créé des opportunités économiques pour la communauté.
Sinzumusi Rajab, un cultivateur de la zone Mubuga, irrigue désormais facilement ses champs de maïs. « Avant, je parcourais des kilomètres pour puiser de l’eau à Nkaka. Aujourd’hui, cette eau est proche de mes champs, ce qui facilite l’irrigation et augmente ma production. » explique-t-il.
Un autre exploitant agricole, Bukuru Simon, a profité de l’eau disponible pour acheter une pompe d’irrigation. Auparavant, il dépensait 200 000 FBU pour acheter de l’eau.
Kadandaza Nduwimana, éleveur de porcs et chef de colline Batwa payait autrefois 20 000 FBU par jour pour transporter de l’eau pour ses animaux, mais maintenant,il économise cet argent pour d’autres fins.
Durabilité des interventions communautaires
Cheikh Hussain Mohammed observe que les partenaires de développement ont aidé à financer les projets d’eau souterraine et que tout ce qu’ils attendent de la communauté est la gestion responsable pour garantir que ces infrastructures servent pendant des générations.
Dans le cadre d’une intervention en faveur du développement durable, les dirigeants de la région ont mis en place des comités locaux pour superviser l’entretien des installations et sensibiliser les habitants à la nécessité d’utiliser de manière responsable les sources d’eau établies.
Les eaux souterraines sont-elles essentielles à la résilience au changement climatique ?
Au Burundi, l’accès à l’eau potable en saison sèche est difficile. Les robinets sont souvent à sec en milieu urbain comme en milieu rural. La source d’alimentation d’eau diminue en saison sèche et retrouve leur niveau en saison de pluie. Cependant, comme le constate Dr Abel NSABIMANA, la saison sèche a tendance à se prolonger ces dix dernières années.
Il constate que l’aménagement d’eaux souterraines permet alors l’accès continu à l’eau potable et fait oublier le stress hydrique en ces jours où le Burundi vit les changements climatiques sans précédent.
Pour sa part, Sheikh Hussain Mohammed constate que “les pompes immergées fonctionnant à l’énergie solaire, avec des réservoirs et des robinets raccordés dans la mesure du possible offrent des rendements beaucoup plus intéressants, approvisionnent deux ou trois fois plus de personnes et sont plus faciles à entretenir. »
Le projet d’accès à l’eau potable dans le village de Gika montre que l’eau peut transformer une communauté. En améliorant la santé publique, en allégeant les charges économiques et en offrant de nouvelles opportunités, ce projet est devenu un pilier du progrès pour les Batwa de Gika.
Cette initiative souligne l’importance d’une gestion durable des ressources naturelles et démontre que des solutions simples peuvent avoir un impact profond. À travers cet exemple, Gika devient un modèle inspirant pour d’autres régions confrontées à des défis similaires, rappelant que l’accès à l’eau potable est un droit fondamental et une condition pour un avenir équitable.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Secrétariat de l’IBN (Nil-Sec), qui en partenariat avec le programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et avec le financement du Fonds pour l’environnement Mondial (FEM), a mis en oeuvre un programme dans tout le bassin du Nil axé sur les aquifères souterrains partagés. L’objectif était d’améliorer la gestion des ressources en eau à l’échelle nationale et à l’échelle du bassin.
La première phase s’est concentrée sur le renforcement des connaissances et des capacités pour l’utilisation et la gestion durables des aquifères transfrontaliers importants du bassin du Nil. Trois zones aquifères ont été sélectionnées pour l’intervention: l’aquifère de kagera partagé par l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi; l’aquifère du mont Elgon partagé par l’Ouganda et le Kenya; et l’aquifère de Gedaref-Adigrat partagé par le Soudan et l’Ethiopie. Ces aquifères sont situés dans divers climats, notamment dans des régions arides et tropicales.
Dans un premier temps, la phase consistait à recueillir les données existantes et à créer un rapport de diagnostic partagé des aquifères (SADA) pour les trois aquifères sélectionnés.