Près de quinze ans après avoir impliqué le secteur privé dans la collecte des déchets, les ordures continuent de se décomposer dans les décharges domestiques, côtoyant les Burundais et menaçant ainsi leur santé. Pour évacuer les déchets ménagers, les Burundais ont recours aux méthodes dangereuses qui aggravent l’insalubrité et polluent les eaux des rivières et du lac Tanganyika. Parmi les facteurs rendant le service de gestion des déchets inefficace figure le monopole.
Les ordures débordent, s’accumulent au sol et se décomposent en asticots dans le dépôt de déchets ménagers d’Aline Kanyange, situé dans la zone urbaine de Nyakabiga, en mairie de Bujumbura ce 20 Septembre. À proximité des latrines, le dépotoir dégage une odeur insupportable et pullule de mouches.
« Voilà, les ordures commencent à se décomposer en asticots. Si rien n’est fait, on est exposé à toutes sortes de maladies liées à l’insalubrité. » s’inquiète Kanyange Aline.
Selon la Troisième Communication Nationale sur les Changements Climatiques publiée en 2019 par le ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage, chaque résident de Bujumbura produit en moyenne 0,6 kilogramme de déchets par jour, ce qui équivaut à 217 kilogrammes par an.
Toutefois, le taux d’enlèvement des ordures s’élevait à 8% avant 2010. A cette époque, c’étaient les Services Techniques Municipaux (SETEMU) qui assurent la collecte.
Ce n’est qu’à partir de 2010, grâce à l’implication d’entreprises privées dans la collecte des déchets, que cette dernière a connu une augmentation, atteignant ainsi 46 %.
Les agents de sociétés de collectes de déchets ne trient pas les ordures, nous confie Kanyange. Ils ramassent tous les déchets en vrac, sans protection et les chargent à bord d’un vieux camion avant de s’en aller. Ils ne sont même pas coopératifs. Kanyange est préoccupée par les déchets dangereux qui sont déversés sur le sol lors de la collecte.
La Troisième Communication Nationale sur les Changements Climatiques souligne que 57 % des déchets sont fermentescibles et 43 % non fermentables.
Selon l’étude de W. Ndayikeza, publiée en 2014 par l’Université du Burundi sur la contribution à la gestion des déchets solides municipaux de Bujumbura par un procédé de codigestion anaérobie partielle suivi d’un compostage « Bujumbura ne possède pas de système de traitement des déchets appelé « lixiviats » qui permet d’éliminer les contaminants nocifs et les substances organiques susceptibles de polluer les eaux de surface et les eaux souterraines. D’où la pollution des eaux du lac Tanganyika engendrée par la fraction fermentescible mélangée avec les eaux pluviales. »
Retard de déchargement
Kanyange ne se rappelle pas la dernière fois que les sociétés chargées de la collecte des ordures ont ramassé les déchets ménagers, mais elle croit que cela fait plus de deux mois.
Selon G. N, agent de la société privée de collecte des déchets à Nyakabiga, la collecte des déchets se tient une fois les deux semaines.
« Depuis que j’habite ici, je ne les ai jamais vu ramasser les ordures à temps. » déplore Aline.
A en croire Kanyange, les sociétés de collecte de déchets sont régulières dans la collecte des frais de gestion des déchets et irrégulières dans la collecte des déchets.
Le retard de déchargement s’observe également dans les quartiers du Nord de Bujumbura :« Trois ou quatre mois peuvent s’écouler sans que les sociétés de collecte de déchets viennent ramasser les déchets. » déclare Emelyne Kamikazi, habitant de la zone urbaine de Kinama.
« Suite aux retards de collecte de déchets, nous manquons où jeter les ordures. Elles s’accumulent jusqu’à bloquer nos portails. Par conséquent, nos ménages puent, sont remplis de mouches et se posent sur nous tout le temps et sur les ustensiles de cuisine. », ajouta-t-elle. Désormais, nous craignons pour notre santé.
Dans les différents quartiers de la capitale politique, Gitega, les jeunes ramassent les ordures à bord des pousse-pousse en passant d’un ménage à l’autre. Selon Alexis Nisengwe, la collecte accuse aussi du retard.
Ces récupérateurs jettent les ordures dans les quartiers Bwoga I, Stade et Wankana. D’où les montagnes d’immondices. Les frais de collecte pour chaque ménage varient entre 2000 et 4000 Fbu par mois.
En effet, selon l’étude sur l’Analyse économique de la gestion des déchets ménagers dans la ville de bujumbura, menée par Mugisha Jean Claude publiée en 2020: « le marché du service de gestion des déchets ménagers dans la ville de Bujumbura est un marché de concurrence imparfaite de type oligopole. Pour ce résultat, l’inefficacité du service de gestion des déchets est liée au fait que ce marché est proche des monopoles. »
Pour une compétitivité et l’efficacité de ce service, cet expert recommande la concurrence pure et parfaite.
Montrez les quittances pour avoir accès au service administratif !
Pour s’assurer qu’on est en règle avec les sociétés de collecte des déchets, les fonctionnaires de la zone Nyakabiga exigent les quittances mensuelles de collecte de déchets chaque fois qu’on demande un service administratif, indique Kanyange.
En cas d’irrégularité, ils t’envoient d’abord te régulariser avec les sociétés de collecte de déchets et revenir ensuite bénéficier du service dont on a besoin, poursuit-elle avec amertume.
Aline voudrait que les responsables de la zone Nyakabiga soient rigoureux envers les sociétés de collecte de déchets comme ils le sont envers eux.
« Les frais de collecte des déchets sont payés selon la taille du ménage. Ils varient entre 4000 FBU et 5000 Fbu par mois. Les frais de collecte de déchets augmentent d’une année à une autre. En moyenne, la hausse s’élève à 1000 Fbu par mois à chaque année, soit 12 000 Fbu par an pour chaque ménage.» nous confie Aline.
Dans certains quartiers, le service de gestion des ordures est quasi-inexistant
Selon l’article 17 de la loi burundaise de 2018 portant code d’hygiène et assainissement, les communes sont tenues d’assurer la mise en place du système de gestion des ordures ménagères et d’organiser le transport et le stockage intermédiaire et final des ordures.
Sur 18 provinces que compte le Burundi, seules la Mairie de Bujumbura et la zone urbaine de Gitega disposent des services appropriés pour l’enlèvement des ordures ménagères dans les villes, lit-on dans la Troisième Communication Nationale sur les Changements Climatiques.
Même dans la Mairie de Bujumbura, le service de gestion des ordures est quasi-inexistant dans certains quartiers.
Sur le chemin, entre les parcelles et devant les clôtures des maisons du quartier Kajiji, zone urbaine de Kanyosha, à dix kilomètres du cœur de la capitale économique du Burundi, s’accumulent toutes sortes de déchets. Foisonnent les déchets plastiques. Notre quartier est très sale, se lamente Joëlle Akimana, habitante du quartier.
«Toutes les ordures domestiques sont rassemblées dans des sacs. Les récupérateurs passent souvent d’une porte à l’autre pour les récupérer moyennant l’argent » indique Joëlle Akimana.
Les frais de récupération varient selon les récupérateurs. S’il s’agit d’adultes, les frais s’élèvent à 5000 Fbu par sac d’ordures tandis que s’il s’agit d’enfants, ils s’élèvent à 3000Fbu, nous explique Joëlle.
L’article 18 de loi susdite stipule: « dans les agglomérations urbaines comme Kajiji,….les ordures sont amenées jusqu’à des dépôts provisoires bien aménagés et situés à la périphérie des quartiers… ». Sauf qu’il n’existe pas de dépôts provisoires à Kajiji.
D’après Joëlle, les récupérateurs des déchets ménagers les jetaient autrefois au terrain de football de kajiji (kizingwe). Néanmoins, le responsable du quartier kizingwe Ferdinand Minani leur a formellement interdit.
Les déchets plastiques ainsi que d’autres déchets prenaient feu lorsque nous nous y rendons. Selon Divin Ndikuriyo, habitant du quartier Kajiji, ils ignorent ceux qui incendient ces déchets.
L’étude susmentionnée de Mugisha Jean Claude indique néanmoins que les femmes et les enfants, qui trient quotidiennement ces dépotoirs pour leur subsistance, sont à l’origine de l’incendie des ordures.
Depuis l’interdiction du rejet des ordures au terrain de football, ils les jettent en cachette dans la rivière Kizingwe: « De peur d’amendes, ils cachent les ordures dans les seaux feignant d’aller puiser de l’eau à la rivière Kizingwe le soir et les jettent à la rivière. »raconte Joëlle Akimana
« La gestion des ordures pose un problème sérieux à Kajiji. Pendant la nuit, nos voisins les jettent tantôt devant les portails de clôture, tantôt sur les chemins qui relient les quartiers et tantôt entre les frontières des parcelles » révèle Joëlle.
Pendant la saison de pluie, beaucoup jettent les ordures ménagères dans la rue : « Quand il pleut, c’est l’occasion d’évacuer les déchets ménagers dans la rue et dans les caniveaux. Si l’érosion est forte, elle emporte les déchets ménagers dans le lac Tanganyika, s’il ne l’est pas, ces déchets se répandent sur le sol et bouchent les caniveaux.» explique Joëlle.
Joëlle est frappée par les ordures ménagères qui sont répandues sur le sol et remplies dans les caniveaux après la pluie: « Parfois, nous nous demandons si c’est la pluie d’ordures qui vient de tomber.»
Si ces derniers sont attrapés, ils écopent d’environ 50 000 Fbu d’amendes, indique le chef de quartier.
Quid du déchargement des poubelles publiques ?
Alors que la collecte des déchets ménagers accuse du retard dans presque tous les quartiers de la ville de Bujumbura et de la zone urbaine de Gitega, le déchargement des poubelles publiques reste problématique.
Dans les différents coins stratégiques où on les a installées en commune urbaine de Mukaza, ces poubelles sont pleines des déchets plastiques, alimentaires etc. Le plus souvent débordées. Certaines sont rouillées, d’autres en piteux état et présentent des signes d’une imminente destruction. Dans les coins qui sont éloignés du centre-ville ou dans les quartiers, ces poubelles sont comme des épouvantails. Les passagers s’en méfient et jettent souvent les déchets dans les caniveaux ou dans la rue..
Selon l’article 218 de la loi burundaise précitée: « Est passible d’une amende de cinq mille Francs burundais (5000 Fbu) quiconque jette des papiers, des emballages en plastiques ou d’autres déchets en dehors des installations prévues à cet effet». Néanmoins, cette punition n’est jamais appliquée.
Les conditions d’insalubrité à Bujumbura ont conduit le président Evariste Ndayishimiye à déclarer, le 10 août 2024, la période du 12 au 16 août 2024 comme étant « la semaine de la propreté ». Il a demandé aux fonctionnaires de l’État de suspendre temporairement leurs activités bureaucratiques afin de se concentrer sur des questions d’hygiène au travail.
A Nyakabiga comme à Kinama, ils lancent un cri d’alarme à l’Etat d’être rigoureux envers les sociétés de collecte de déchets. Dans le cas contraire, ils sont exposés aux maladies des mains sales.
Au sud de la capitale économique, Bujumbura, les habitants appellent à la mise en place d’un système de gestion des ordures ménagères et des dépôts provisoires.