Sur le pied de la colline Mugara, dans la commune et province de Rumonge, au sud-ouest du pays, deux roches fracturées vomissent de l’eau chaude qui dégage de la vapeur. Entourées d’arbre géant connu sous le nom d’« Umuhona », les eaux thermales de Mugara sont canalisées dans la piscine. Néanmoins, plus elles descendent, plus la vapeur se dissipe. Malgré sa chaleur, les locaux et les touristes aiment les eaux thermales de Mugara pour leurs vertus thérapeutiques et relaxantes.
Les eaux géothermiques sont largement répandues au Burundi . Elles attirent tant les touristes locaux qu’internationaux grâce à leurs caractéristiques remarquables. Ces sources d’eau sont considérées comme des havres de guérison. Elles revêtent une dimension sacrée et constituent une source cruciale de revenus.
Nyandwi Chantal, responsable du site touristique de Mugara, indique que les touristes augmentent surtout le weekend (samedi et dimanche) et diminuent les jours ouvrables : “En weekend, le site accueille plus de 100 touristes locaux et internationaux tandis que les jours de travail, il accueille environ 50 touristes.”
La légende
Si les eaux thermales de Mugara attirent beaucoup les touristes présentement, ça n’a pas toujours été le cas : « Avant l’arrivée des missionnaires suédois en 1933, la population locale avait peur du marais de Mugara qui hébergeaient les eaux thermales. »explique Ndayisaba Alexis, alias Bonne Idée, un habitant de la colline Mugara et prestataire de service de massage au site touristique de Mugara.
Interrogé par les missionnaires suédois – installés à Mugara en 1933 – sur l’origine de la vapeur montant dans le ciel, la population locale a répondu que « le marais héberge les esprits aquatiques et des grands animaux sauvages comme le lion. Ils allument le feu et font la cuisson, ce qui est à l’origine de la vapeur.» Relate Ndayisaba Alexis.
Selon l’anthropologue Dr Jean Bosco Manirambona, enseignant chercheur à l’université du Burundi, tout phénomène qui échappait à la compréhension des burundais d’antan relevait du domaine des ibisigo (esprits aquatiques). C’est pourquoi ils concevaient que le marais est le foyer des esprits aquatiques.
Accompagnés de la population locale et d’interprètes congolais, les missionnaires suédois sont allés examiner ce phénomène. Ils ont découvert que ce sont des eaux thermales, raconte Ndayisaba Alexis.
Cela se reproduit lorsque “les eaux de pluie s’infiltrent dans les roches fracturées et atteignent le niveau proche de la croûte terrestre. En raison de la chaleur énorme du magma, elles sont refoulées à la surface.”nous explique Dr Pascal Nkurunziza, hydrogéologue et enseignant chercheur à l’université du Burundi.
Les eaux thermales se situent dans le bassin de la kagera. Dans ce bassin, la superficie de l’ensemble de l’aquifère est estimée à 6 300 km2, dont 1 % au Burundi, 13 % au Rwanda, 22 % en Ouganda et 64 % en Tanzanie.
La carte montrant la taille de l’aquifère de Kagera
Selon le rapport technique de l’Initiative du bassin du Nil, les roches consolidées fracturées font partie des zones à fortes potentielles des eaux souterraines. Le Dr Pascal Nkurunziza recense alors 27 sources d’eaux thermales au Burundi.
Les eaux thermales de Mugara actuelles
Depuis qu’ils ont réalisé que le marais n’est pas le foyer des esprits aquatiques, les communautés locales utilisent les eaux thermales dans d’autres activités, voire dans les prières.
Ndayisaba Alexis donne l’exemple de l’arbre dit « Umuhona » qui se trouve à la source des eaux thermales et qui marque les traces indélébiles du culte d’Ukubandwa – messe traditionnelle dirigée par le prêtre principal appelé Kiranga qui était l’intermédiaire entre les hommes et Dieu au Burundi.
Selon la croyance traditionnelle, les eaux thermales soignent la stérilité, stimulent et augmentent la libido, sont énergisants et augmentent la chance de trouver un conjoint à ceux qui peinent d’en trouver un, indique Ndayisaba Alexis Bonne Idée. « Nous avons vu des tanzaniens et des congolais témoigner qu’ils ont trouvé ce qu’ils voulaient après avoir pris un bain dans les eaux thermales de Mugara.»
A en croire Dr Pascal Nkurunziza, les eaux thermales contiennent des éléments minéraux en concentration et même des oligoéléments dont le corps a besoin et qui, par osmose, peuvent pénétrer dans le corps humain. Ainsi, si on a des carences, on peut les avoir à partir de ces eaux thermales.
Bien que la commune ait aménagé le site touristique de Mugara, Kazuguru Gabriel, résident de la colline Mugara, se plaint que la piscine ne suffit pas pour les touristes qui augmentent de jour en jour : « Parfois, les touristes attendent à la porte que les autres sortent. Si les hauts dignitaires viennent prendre un bain dans les eaux thermales de Mugara, on nous interdit d’accès arguant que nous ne pouvons pas nous baigner avec eux »
Sur ce site, hommes et femmes se baignent dans la même piscine tandis que l’accès gratuit pour les résidents locaux est limité à la nuit- sinon, ils doivent payer comme les autres touristes.
Nyandwi Chantal, responsable du site touristique de Mugara, reconnaît: “ les hommes et les femmes prennent un bain dans une seule piscine. De plus, elle ne suffit pas.”
Toutefois, des projets visant à aménager deux piscines séparées sont en cours, indique-t-elle.
Dans cette destination touristique populaire, le commerce de différents articles, y compris de produits comestibles, est en plein essor, au profit des communautés d’affaires locales.
Jacqueline Nkeshimana, consultante en économie de l’environnement et du tourisme indique que les eaux thermales de Mugara ont rapporté dans la caisse de l’Etat entre 2019 et 2023 environ 154 millions de Fbu, avec des projections de 112 millions de Fbu pour la période 2024-2025.
Les eaux thermales, victimes des changements climatiques
Contrairement à d’autres sources d’eaux qui baissent et vont jusqu’à s’assécher pendant la saison sèche, les eaux thermales restent constantes que ce soit pendant la saison sèche ou pendant la saison de pluie, confirme Ndayisaba Alexis.
Pendant la saison sèche, quand le soleil brille, les eaux thermales ne sont pas très chaudes. Les rayons solaires neutralisent la vapeur. Ce n’est que pendant la saison de pluie, que les eaux thermales de Mugara sont chaudes et dégagent beaucoup de vapeur, nous révèle Ndayisaba Alexis.
Citant le Programme mondial de recherche sur le climat couplé à l’analyse de l’impact du changement climatique sur le bassin de la Kagera, le rapport technique de l’Initiative du bassin du Nil montre que le bassin de la Kagera connaîtra une augmentation des précipitations, de la température et de l’augmentation potentielle de l’évapotranspiration.
“Les températures moyennes de surface devraient augmenter de 1ᴼC à 4ᴼC d’ici 2100. Le soleil neutralisera de plus la vapeur et la chaleur des eaux thermales.” interprète Dr Abel NSABIMANA.
Pour conserver les eaux thermales, Ndayisaba Alexis appelle le gouvernement à reboiser les collines qui surplombent la source des eaux thermales de Mugara. A l’heure actuelle, elles sont entourées des plantations de palmiers à l’huile, ce qui expose les sources d’eaux thermales à l’érosion. Il rappelle que la première source d’eau thermale a été abandonnée suite à la pollution de l’érosion.
Le rapport technique de l’Initiative du Bassin du Nil souligne l’importance de telles sources d’eaux souterraines, mais relève aussi le défi de la conservation dont prévenir la contamination des eaux souterraines par des sources anthropiques.
Pour Ndayisaba Alexis, l’Etat devrait également développer les infrastructures qui attirent beaucoup les touristes, notamment les hôtels, les routes et les hôpitaux afin que ceux qui viennent à cet endroit puissent profiter pleinement de leur séjour.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Secrétariat de l’IBN (Nil-Sec), qui en partenariat avec le programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et avec le financement du Fonds pour l’environnement Mondial (FEM), a mis en oeuvre un programme dans tout le bassin du Nil axé sur les aquifères souterrains partagés. L’objectif était d’améliorer la gestion des ressources en eau à l’échelle nationale et à l’échelle du bassin.
La première phase s’est concentrée sur le renforcement des connaissances et des capacités pour l’utilisation et la gestion durables des aquifères transfrontaliers importants du bassin du Nil. Trois zones aquifères ont été sélectionnées pour l’intervention: l’aquifère de kagera partagé par l’Ouganda, la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi; l’aquifère du mont Elgon partagé par l’Ouganda et le Kenya; et l’aquifère de Gedaref-Adigrat partagé par le Soudan et l’Ethiopie. Ces aquifères sont situés dans divers climats, notamment dans des régions arides et tropicales.
Dans un premier temps, la phase consistait à recueillir les données existantes et à créer un rapport de diagnostic partagé des aquifères (SADA) pour les trois aquifères sélectionnés. La phase suivante consistait à modéliser les eaux souterraines pour améliorer la compréhension des aquifères et analyser des scénarios basés sur les changements du climat et de l’utilisation des eaux souterraines.