Le prunier d’Afrique, une espèce menacée, est vendu illégalement dans les marchés de Bujumbura. Les environnementalistes appellent l’autorité environnementale à punir ces commerçants afin de freiner l’exploitation abusive et illicite de cet arbre. L’OBPE se veut rassurant. Enquête.
Par Pierre Claver Banyankiye
Dimanche. 10 heures. Les abords du marché de Kinama ne désemplissent pas. La pluie battante a beau arrosé Bujumbura depuis la nuit dernière, la fréquentation de ce marché reste fort. Depuis la rénovation de ce marché, aucun vendeur n’est autorisé à étaler ses marchandises à l’extérieur.
Toutefois, le trottoir de la rue pavée passant derrière ce marché est occupé par les fournisseurs de plantes médicinales. Les voitures tentent de se frayer un chemin dans un brouhaha de klaxons. C’est ici que s’approvisionnent les tradi-praticiens de la capitale économique Bujumbura. L’un des vendeurs allèche les clients : « Ceux qui cherchent umugombe, umunazi, umurinzi, umahangahanga, umuremera, venez ! On vend à bas prix.»
L’identité des fournisseurs bien gardée
Cependant, l’exploitation et le commerce de l’une de ces espèces étalées sont interdits au Burundi, depuis 2008. Il s’agit de l’« umuremera », le prunier d’Afrique. Ce vendeur fait savoir que le prix de l’écorce du prunier d’Afrique est à 10 000 BIF. Idem pour son fruit. Interrogé sur l’endroit où il extrait ces écorces, il botte en touche: « Achetez ou laissez-moi tranquille.»
A l’intérieur du marché, il y a aussi une place réservée aux tradi-praticiens. Là-bas, le prunier d’Afrique est très prisé. C’est un business très onéreux. Il est vendu en poudre. Jérémie*, un tradi -praticien, ne cache pas le prix de ce produit : « Une cuillerée de la poudre venant de l’écorce coûte 3000 BIF. » Pour celle provenant de ses fruits, le prix grimpe jusqu’à 4000 BIF par cuillerée. Interrogé sur l’identité de ses fournisseurs, il donne des réponses évasives. Quand nous relançons la question, il est gêné et continue d’esquiver la question. « Nous attendons qu’ils nous approvisionnent car nous ne pouvons pas atteindre l’endroit dans lequel ils sont plantés car il est protégé par des militaires et des éco-gardes », lâche-t-il.
Le prunier d’Afrique, une plante médicinale très appréciée
Ces propos révèlent que ces vendeurs et collecteurs du prunier d’Afrique sont au courant qu’ils s’adonnent au commerce illégal. Mais qui sont-ils ? Leur identité est jalousement gardée par le vendeur. Mais, sans l’ombre d’un doute, nous pouvons affirmer que ceux qui collectent les écorces du prunier d’Afrique dans le Parc de Kibira bénéficient d’une complicité de ceux qui gardent ce parc.
Léonard*, lui aussi vendeur, indique qu’il éprouve beaucoup de difficultés à s’approvisionner en écorce de prunier d’Afrique : « Nous avons essayé de planter des graines dans nos propriétés, mais ils n’ont pas germé. Ils se sont asséchés. »
Léonard encense les vertus médicinales du prunier d’Afrique : « Je suis dans ce commerce depuis 2000, je n’ai jamais vu une espèce qui soigne autant de maladies que le prunier d’Afrique. » D’après lui, il traite les troubles urinaires et du tube digestif (impanga), les douleurs abdominales, la courbature (ikinyamugongo), les maux de ventre (Igisigo), la prostate (umusipa), le diabète, le cancer et la malaria, etc.
Les environnementalistes tirent la sonnette d’alarme
Selon Albert Mbonerane, président de l’Action Ceinture Verte pour l’Environnement (ACVE), les personnes qui vendent les écorces du prunier d’Afrique sont connues parce qu’elles sont installées dans des marchés connus. « La police et l’administration forestière devraient se rendre au marché pour interroger ces vendeurs afin de connaître leurs fournisseurs », insiste l’environnementaliste
Jacques Nkengurutse, chercheur et enseignant à l’Université du Burundi, signale l’existence du prunier d’Afrique dans les forêts se trouvant sur la crête Congo-Nil : « Outre sa présence dans la Kibira, il se trouve dans la réserve naturelle de Bururi, de Rumonge et de la Ruvubu. Autrefois, on pouvait le trouver à Muramvya ou à Kayanza. Avec la démographie galopante, il a été coupé par des personnes à la recherche de terres cultivables. »
M. Nkengurutse indique que l’OBPE est en train de faire un recensement des pruniers d’Afrique peuplant les réserves naturelles du Burundi. Il recommande à l’OBPE de doubler les efforts pour freiner l’exploitation abusive et illicite de cet arbre : « Avec une bonne règlementation, cet arbre peut ramener des devises car il s’achète bien sur le marché international. Il faut donc qu’il soit protégé de l’exploitation abusive.»
Reportage sur l’exploitation illégale du prunier d’Afrique
Personne n’a l’autorisation d’exploiter le prunier d’Afrique
Berchmans Hatungimana, directeur général de l’OBPE, affirme que les tradi-tradiciens s’approvisionnent dans les parcs protégés. Et d’ajouter aussitôt : « Le prunier d’Afrique se trouve dans les réserves naturelles de la Kibira et de Bururi. Mais ils n’ont pas notre autorisation. »
Cette autorité forestière souligne que ces tradi-praticiens ne commercialisent pas uniquement le prunier d’Afrique mais aussi d’autres plantes. « C’est le ministère de la Santé qui les supervise. Notre rôle est de veiller à ce qu’ils ne dégradent pas l’environnement dans leur quête de médicaments », explique-t-il.
Deux solutions pour protéger cette espèce
L’OBPE indique que le prunier d’Afrique est une espèce très utilisée par la population. Pour protéger les parcs, cet office a créé une pépinière de 120.000 plants, l’année dernière. Pour cette année en cours, une autre de 50.000 plants de prunier d’Afrique est mise en place.
M. Hatungimana fait savoir que l’OBPE a déjà planté certains des plants dans la Kibira. D’autres ont été distribué aux ménages riverains du parc de la Kibira pour planter cette espèce dans leur propriétaire. Mais cette espèce croît lentement. Raison pour laquelle, ceux qui ont planté cet arbre ne peuvent pas l’exploiter dans moins de 15 ans.
La gestion participative est la deuxième solution envisageable pour protéger le prunier d’Afrique. « Dans un proche avenir, nous allons exploiter une loi règlementant la gestion participative des forêts et voir si nous pouvons autoriser des tradi-praticiens à aller dans les forêts pour recueillir les écorces d’arbres à vertus médicinales. Cela va se traduire par une convention de collaboration pour éviter une exploitation abusive », a-t-il conclu.
Une espèce en voie de disparition
Actuellement, il y a nécessité de contrôler les plantes médicinales disponibles au marché. Réalisée en 2020, une enquête de l’OBPE sur l’importance socio-économique du prunier d’Afrique au Burundi a révélé qu’il soigne plus de 42 maladies.
En juillet 2006 à Lima au Pérou, la Convention sur le Commerce International des espèces de faune et flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a constaté que le Burundi faisait le commerce du prunier d’Afrique sans en connaître la quantité présente sur son sol. Le Burundi a été recommandé de produire un inventaire de stock appelé un Avis de Commerce Non Préjudiciable jusqu’au 31 décembre 2008. Sans quoi, il serait suspendu.
En septembre 2006, le Burundi a établi un quota d’exportation zéro jusqu’à la production de l’avis du commerce non préjudiciable de cette espèce. Les études ont été effectuées en 2013 et en 2014. La plus récente remonte à 2021. Sa conclusion n’est pas rassurante : « L’exploitation de Prunus africana est possible mais beaucoup de choses restent à faire avant d’entreprendre l’exploitation proprement dite. » Ce rapport montre qu’il s’observe des problèmes dans le contrôle de l’exploitation et de l’exportation des produits spéciaux, comme le prunier d’Afrique. La protection de cette espèce est aussi problématique : « Le libre accès au prunier d’Afrique dans les Aires Protégées pour en extraire les écorces. »
Cette enquête a été réalisée avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center