Calinie Nsengiyumva épand soigneusement du fumier organique dans de poquets préparées pour les semences de maïs dans sa ferme de Kinga, dans la province de Kayanza, en prévision d’une récolte incertaine. Entourée de ses pairs tout aussi déterminées, son enfant solidement attaché à son dos, chaque mouvement est précis, affiné par des années d’expérience et d’adaptation à un climat imprévisible. Elle fait face aux luttes qui accablent sa communauté avec une résilience admirable.
L’accès limité aux semences et aux engrais de qualité, des conditions climatiques imprévisibles, la dégradation des sols et les inégalités systémiques de genre qui restreignent l’accès aux ressources et aux opportunités de décision sont le quotidien de ces femmes. L’odeur terreuse du sol, le rythme de l’effort et la chaleur du soleil couchant encadrent cette scène de solidarité et de survie.
« Le maïs nécessite beaucoup de fumier, qu’il soit organique ou chimique. Cependant, nous n’avons pas reçu d’engrais industriels cette année. C’est pourquoi je me fie uniquement au fumier organique. Je ne suis pas sûre que la récolte sera bonne cette saison. J’ai des bons pour le FOMI (engrais organomineraux), mais les prix des intrants agricoles nécessaires à leur application ont grimpé en flèche depuis août », déclare Mme Nsengiyumva.
Les données récentes montrent que les femmes représentent plus de 52 % de la population du Burundi, dont 80 % vivent en milieu rural et dépendent de l’agriculture. Elles constituent également 55,2 % de la main-d’œuvre agricole. L’augmentation des opportunités économiques pour les femmes pourrait dynamiser l’agriculture, entraînant ainsi une croissance économique significative. Selon le Groupe de la Banque africaine de développement, « la Banque mondiale estime que combler l’écart entre les sexes en Afrique pourrait augmenter le PIB du continent de 2,5 trillions de dollars d’ici 2025. »
Les femmes sont disproportionnellement affectées par le changement climatique, faisant face à des conflits et à des défis socio-économiques. Selon UN Women, 70 % des 1,3 milliard de personnes vivant dans la pauvreté dans le monde sont des femmes. Ses impacts perpétuent et exacerbent les inégalités structurelles. Cette réalité crée des relations différenciées avec l’environnement qu’il convient de prendre en compte lors de l’élaboration des stratégies d’atténuation.
Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, les femmes représentent en moyenne 43 % de la main-d’œuvre agricole et consacrent 50 % de leur temps total aux activités agricoles. Cependant, elles n’ont pas un accès adéquat aux ressources agricoles. « Les femmes agricultrices produisent moins que les hommes, mais ce n’est pas parce qu’elles sont moins efficaces », rapporte UN Women . Cette moindre productivité est due à un accès limité aux services de conseil, aux ressources financières, à la main-d’œuvre et aux technologies.
Les normes sociales imposent des rôles distincts aux hommes et aux femmes dans la société. Au Burundi, ces normes assignent souvent aux femmes des rôles domestiques non rémunérés, tels que les tâches de soins ou la gestion des tâches ménagères, ce qui limite considérablement leur capacité à générer des revenus et à participer activement aux prises de décisions communautaires ou agricoles.
Marceline Nininahazwe, une agricultrice de Kayanza, explique : « Nous ne sommes jamais invitées à des formations sur le changement climatique. Nous sommes ignorantes, bien que nous soyons les premières à en subir les conséquences. » Ce manque de ressources et de connaissances scientifiques aggrave la dégradation des sols, rendant les femmes encore plus vulnérables aux impacts climatiques. Le secteur bancaire reste largement inaccessible à ces femmes en raison du manque de garanties ou de biens de gage. « Les intrants agricoles sont trop chers », affirme Elisabeth Nyandwi.
Aujourd’hui, des femmes comme celles du groupe Turime Twitezimbere de Kayanza forment des associations de solidarité pour mutualiser leurs ressources et collecter des fonds pour acheter des engrais ou des semences. Cependant, selon Marceline Nininahazwe, membre de l’association, ces fonds ne suffisent pas à répondre aux besoins croissants. « Malgré nos efforts collectifs, nous peinons à mobiliser les ressources nécessaires pour surmonter les difficultés persistantes », explique-t-elle.
Les défis climatiques et agricoles
Les défis climatiques et agricoles sont nombreux, notamment la rareté de l’eau, la dégradation des sols et la vulnérabilité accrue aux ravageurs et aux maladies, ce qui affecte les rendements agricoles. Ces défis sont amplifiés par un accès limité aux semences résistantes au climat, aux technologies d’irrigation et aux informations météorologiques en temps utile, ce qui freine davantage leur capacité à s’adapter et à maintenir leurs moyens de subsistance. « Les sécheresses prolongées et les pluies torrentielles détruisent les récoltes. Nous ne savons plus quand planter ou récolter, car les saisons ne sont plus prévisibles », témoigne Claudine Ndayisenga, une agricultrice de Gitega. Par exemple, les pluies de 2022 et 2023 ont provoqué des inondations graves dans la province de Gitega, emportant les haricots et le maïs des champs. Les agricultrices comme Ndayisenga ont perdu presque toute leur récolte, les laissant sans nourriture ni revenu. L’imprévisibilité de ces événements climatiques extrêmes a rendu les pratiques agricoles traditionnelles peu fiables, aggravant l’insécurité alimentaire et les difficultés économiques.
En 2023, la production de maïs au Burundi a connu une forte baisse. Selon les données de la FAO, le pays a produit environ 280 000 tonnes de maïs cette année-là, une légère augmentation par rapport à 2022, mais toujours en dessous des 290 000 tonnes enregistrées en 2018. Des régions telles que Bubanza, Bujumbura Rural et Makamba ont connu des réductions substantielles des rendements, certaines zones ayant enregistré des baisses allant jusqu’à 53 % en 2023 en raison du changement climatique et de l’accès limité aux intrants agricoles. De plus, « nous n’avons pas accès aux intrants nécessaires pour traiter les maladies qui affectent nos cultures. Cela réduit encore nos récoltes », ajoute Marie-Claire Nzigamasabo, une agricultrice de Ngozi.
Mécanismes d’adaptation et solidarité communautaire
Les agricultrices burundaises, en particulier celles vivant en milieu rural, ont développé des mécanismes d’adaptation pour faire face aux défis posés par le changement climatique et la pénurie de ressources. Ces stratégies incluent la création d’associations de solidarité qui leur permettent de mettre en commun leurs ressources et de créer des fonds collectifs pour acheter des semences, des engrais et même investir dans des technologies d’irrigation. Malgré ces efforts, comme l’explique Marceline Nininahazwe, maraîchère, les fonds disponibles via ces associations sont rarement suffisants pour répondre à leurs besoins. Ces groupes offrent cependant des espaces essentiels de soutien collectif, de partage de connaissances et constituent un filet de sécurité vital contre les défis économiques et climatiques.
L’irrigation joue un rôle essentiel pendant les saisons sèches, mais les agricultrices manquent souvent d’outils modernes pour gérer efficacement l’eau. « Nous utilisons encore des seaux pour arroser nos champs. C’est épuisant et inefficace sur de grandes superficies », explique Marceline. De nombreuses femmes travaillent sur de petites parcelles, généralement de 1,2 à 2,5 hectares, ce qui rend l’irrigation manuelle pénible et inefficace. Sans accès à des outils ou des techniques plus avancés, la préservation des cultures pendant les périodes de sécheresse devient un défi de taille.
Certaines femmes prennent les choses en main en récupérant l’eau de pluie dans des réservoirs ou en creusant des canaux de drainage pour optimiser l’utilisation de l’eau, ce qui permet de maintenir une production minimale et d’assurer la sécurité alimentaire de leur famille et de leur communauté. Cependant, celles qui ne font pas partie d’associations sont encore plus vulnérables. Sans cadre collectif pour partager l’information ou accéder à la formation, ces femmes ont du mal à gérer les mêmes ressources. « Contrairement à celles qui font partie de groupes, nous sommes livrées à nous-mêmes. Nous n’avons pas de formation ni d’accès à de nouvelles techniques agricoles », explique Yvette Niyomwungere, une agricultrice de Butegana Hill, province de Gitega. Cet isolement les exclut encore davantage des programmes de soutien cruciaux tels que la distribution de semences résistantes au climat et les conseils sur la diversification des cultures.
Pour combler ces lacunes, ACORD Burundi (Association de Coopération et de Recherche pour le Développement) met en œuvre le projet FACE (Féministes pour des Alternatives Climatiques et Environnementales). Ce projet, soutenu par un Consortium de Centres Internationaux de Recherche Agricole (CGIAR), promeut des solutions climatiques inclusives et durables en mettant l’accent sur l’autonomisation des femmes dans l’agriculture.
Adoption de pratiques agroécologiques
Pour lutter contre l’érosion des sols et préserver leur fertilité, de nombreuses agricultrices burundaises ont recours à des pratiques agroécologiques. Des techniques comme la culture en courbes de niveau, qui permet de ralentir le ruissellement des eaux de pluie sur les pentes et d’augmenter la rétention d’eau, se sont avérées efficaces. « Planter le long des courbes de niveau permet de protéger les champs des fortes pluies », explique un membre d’une association. En outre, la rotation des cultures et l’utilisation de compost organique contribuent à renforcer la résilience face aux fluctuations climatiques tout en réduisant la dépendance aux intrants chimiques.
Malgré l’impact positif de ces pratiques agroécologiques, leur adoption est freinée par le coût élevé des semences de qualité et des pesticides. « Si nous avions plus de ressources financières, nous pourrions moderniser nos pratiques et augmenter nos rendements », explique Élisabeth Nyandwi, une agricultrice engagée dans ces méthodes. Les mauvaises herbes constituent également une menace persistante pour leurs cultures. « Les mauvaises herbes envahissent nos champs et détruisent nos cultures, c’est une bataille constante », explique Violette Ndayishimiye, une productrice d’arachides de Rutana. L’accès limité à des outils mécaniques abordables pour le désherbage rend cette tâche encore plus difficile, en particulier pour les petits producteurs qui dépendent fortement du travail manuel.
Malgré ces défis, la résilience dont font preuve ces agriculteurs est extraordinaire. Les associations solidaires, les pratiques de gestion durable de l’eau et l’agroécologie sont des solutions clés qu’ils utilisent pour maintenir l’agriculture et nourrir leurs communautés.
Femmes entrepreneures dans l’agroalimentaire
Les femmes entrepreneures du secteur agroalimentaire sont confrontées à des défis particuliers, notamment la rareté et l’irrégularité des matières premières agricoles. « Quand les récoltes sont mauvaises, nos coûts de production montent en flèche et nous perdons des clients », explique Faridha Nzeyimana, productrice et commerçante d’oignons à Kayanza. L’imprévisibilité des récoltes rend la planification difficile et les fluctuations des prix limitent leur capacité à investir dans des technologies modernes pour améliorer leurs produits.
Le manque d’appui technique et financier aggrave ces difficultés. « Nous n’avons pas d’équipements pour conserver les produits longtemps. Parfois, une grande partie de notre production est perdue faute de solutions adaptées », ajoute Jocelyne Kwizera, vendeuse de fruits à Gitega. Ce problème contribue au gaspillage alimentaire et nuit à la compétitivité de ces femmes sur le marché, limitant encore davantage leur capacité à développer leur activité.
Le besoin d’un soutien extérieur
Pour que les efforts des agriculteurs burundais, en particulier des femmes, soient durables et efficaces, un soutien extérieur est essentiel. Ce soutien doit inclure un meilleur accès au financement, notamment par le biais de crédits adaptés à leurs besoins spécifiques, ainsi que des subventions pour l’acquisition d’intrants agricoles et de technologies modernes. En outre, une formation continue est essentielle pour renforcer les compétences techniques dans des domaines tels que l’agroécologie et la gestion des ressources en eau.
En soutenant ces initiatives locales, le Burundi a la possibilité de renforcer la résilience de son agriculture tout en favorisant une transition vers des pratiques agricoles plus durables et plus inclusives. L’autonomisation des femmes, l’amélioration de l’accès aux ressources et la facilitation de l’échange de connaissances permettront à terme de créer des communautés agricoles plus résilientes et de contribuer au développement économique global du pays.
Ce reportage a été réalisée avec le soutien du CGIAR et du MESHA .